La FEVIS exprime son inquiétude sur les conséquences directes que le projet de fusion de l'orchestre de l'Opéra de Rouen et de l'Orchestre Régional de Normandie (ORN) aura sur le projet du théâtre de Caen. 

Ce théâtre a joué et joue un rôle déterminant depuis quarante ans dans l'émergence et le développement du mouvement des ensembles indépendants. Dès la fin des années 1980, il a été pilote dans la mise en place d'une résidence innovante d'un ensemble baroque pour donner toute sa place à un répertoire spécialisé encore absent des saisons des maisons lyriques. La résidence de 25 ans que l'ensemble Les Arts florissants a mené en Normandie résonne aujourd'hui comme un modèle exemplaire de collaboration qui a donné naissance à des productions qui resteront gravées dans les mémoires, à commencer par l'Atys de Lully, créé en 1987. 

Au-delà de sa stratégie pilote de résidence, c'est aujourd'hui un acteur indispensable à la mise en place de coproductions de projets lyriques ambitieux avec un grand nombre d'ensembles en France et à l'étranger, émergents ou déjà confirmés, et un opérateur qui travaille main dans la main avec les plus grandes maisons d'opéras en France et en Europe. Cette place a été récemment reconnue dans le rapport de la mission sur l'art lyrique menée par Caroline Sonrier.

Nous, ensembles indépendants, attirons toute la vigilance du Ministère sur la fragilisation de ce modèle unique que la fusion des orchestres pourrait entraîner.
Chaque année, les représentations assurées par l'ORN constituent 13% des levers de rideaux de la saison du théâtre de Caen, constituant ainsi une proposition musicale extrêmement importante pour les publics. Cette offre est possible car elle repose sur un partenariat privilégié du théâtre de Caen avec l'ORN, ce dernier participant financièrement à cette programmation à hauteur d'environ 200 000 € d'apport en industrie par an, salaires artistiques des permanents et défraiements cumulés. La fusion de l'ORN dans l'Orchestre symphonique de l'Opéra de Rouen, bien moins souple dans sa diffusion, fait peser le risque immédiat d'entrainer un surcoût très important pour le théâtre de Caen et donc une diminution directe de sa marge artistique et de sa capacité à accompagner les projets singuliers des ensembles indépendants.

Le secteur de l'indépendance, déjà fragilisé par le manque d'outils de production lyrique dans le réseau des maisons d'opéra, a besoin pour sa survie de partenaires de création et de diffusion importants sur le territoire national. Le théâtre de Caen est l'un de ces acteurs majeurs et il serait dramatique pour l'écosystème indépendant que cette maison soit fragilisée dans son modèle qui a fait ses preuves artistiquement et économiquement.

A notre monde en perpétuelle évolution, chacun peut apporter sa pierre.

Aux politiques, il appartient de mettre en œuvre des actions pour en contrer les effets pervers et nous amener à agir autrement. Les artistes, quant à eux, questionnent le monde, orientent les regards vers les sujets qui les interpellent et invitent à penser.

Ce mois de janvier, le ministère de la Culture lance son « plan de lutte contre les violences et le harcèlement sexistes et sexuels dans le spectacle vivant ». Mais le 10 octobre dernier, c'est à Sélestat, devant 2500 personnes, que le Président de la Collectivité Européenne d'Alsace* présidait l'élection de Miss Alsace : dans quatre tenues édifiantes – tenue de militaire, de secrétaire, tenue de soirée et maillot de bain - les dix-neuf candidates défilèrent en poussant leurs cris de ralliement : « souriantes ! élégantes ! combattantes ! »

Ce jour là, la Collectivité Européenne d'Alsace, active par ailleurs dans la lutte contre les violences faites aux femmes, ne semblait pas sensible à la violence symbolique de l'événement, bien dissimulée derrière les paillettes et la musique à pleins tubes. Mais à quoi ça sert d'agir si l'on ne change pas sa façon de penser ?

Pour inviter à penser autrement, les artistes ont leurs propres outils : les mots pour les écrivains et les comédiens ; les images pour les plasticiens. A travers le langage des sons, les musiciens expriment les affects qui colorent nos vies ; mais ils ont aussi le pouvoir de rendre visibles et audibles les bienfaits de l'écoute réciproque et du faire ensemble - un bon début, pour transformer le monde. Est-ce cela être un.e artiste engagé.e ?

"Notre temps vaut ce qu'il vaut ; il n'est ni meilleur ni pire que les temps passés ; il serait plutôt plus avantageux pour nous puisque c'est celui que nous vivons."
Pierre Dac

Je vous, je nous souhaite, une belle année 2022, culturelle, musicale, et collectivement engagée.

* Collectivité issue de la fusion des collectivités départementales du Bas-Rhin et du Haut-Rhin

« C'est en décloisonnant les arts depuis plus de 25 ans, sans jamais en être au détriment de la qualité musicale, que le projet du Quatuor Debussy s'est construit, permettant de toucher un public plus large que le public traditionnellement attiré par la musique classique. »

160 ensembles indépendants, 1000 ans de musique, plus de 4000 concerts en France et dans le monde chaque année 
Il y a toujours un concert près de chez vous !